La distillation, transformation de la matière. L’art-chimie, séparer et assembler.
La distillation de plantes aromatiques et médicinales ne date pas d’hier
Les premières traces de distillation remontent à il y a plus 6500 ans avant Jésus-Christ. L’Inde et la Chine étaient équipées d’alambics primitifs en terre cuite pour faire des extractions. Quelques siècles plus tard, Les Égyptiens se servaient des huiles pour embaumer leurs morts. Leur technique n’était cependant pas très élaborée… Nous y reviendrons à l’occasion avec un article consacré à l’histoire de la distillation dans notre blog.
Extraction mécanique pour les agrumes
Il faut faire la différence entre essences et huiles essentielles. Pour les agrumes on parlera d’essences de citron, d’orange, de mandarine etc. Elles sont obtenues par pression à froid des zestes ou péricarpes et non par distillation ou extraction à la vapeur d’eau. Quand vous épluchez une orange, le liquide qui parfois s’en échappe et vous pique les yeux est l’essence d’orange que l’on appelle communément huile essentielle.
Le principe de la distillation traditionnelle d’huiles essentielles.
Les plantes aromatiques quant à elles, vont donner leur huile essentielle par distillation à la vapeur d’eau selon leurs organes sécréteurs d’huile essentielle, feuilles, fleurs, bois, racines…. La distillation à la vapeur d’eau est un procédé simple sur le papier, mais plus complexe suivant la plante qu’on distille et la qualité de l’huile essentielle qu’on cherche à obtenir.
Le principe de la distillation est de faire passer un courant de vapeur d’eau (100°C) au travers des plantes. Au contact de cette vapeur d’eau, les poches microscopiques renfermant l’huile essentielle dans les plantes se percent et libèrent les molécules aromatiques et leurs principes actifs qui sont entraînés dans le flux de vapeur.
Cette vapeur une fois chargée de molécules aromatiques continue son trajet ascensionnel et traverse un tube horizontal puis redescend guidée à l’intérieur d’un serpentin qui s’enroule, plongé dans de l’eau froide. Le contact entre cette vapeur chaude et le serpentin froid crée une condensation de ce mélange vapeur-molécules.
Cette condensation fait qu’on obtient à la sortie du serpentin une solution revenue à l’état liquide souvent laiteuse ou trouble. C’est le distillat : un mélange d’hydrolat et d’huile essentielle. Après quelques secondes de repos on peut voir se distinguer deux phases dans l’essencier ou vase florentin. Une phase aqueuse plus lourde en bas, c’est l’hydrolat ou eau florale et une phase huileuse plus légère en haut et flottant à la surface de l’hydrolat, c’est l’huile essentielle. On peut alors séparer les deux liquides distincts grâce à un système de trop-plein sur l’essencier.
Les bons procédés de distillation des plantes aromatiques et médicinales
Malgré la simplicité apparente du processus, il faut néanmoins respecter quelques règles de base pour réussir une bonne distillation et obtenir de belles huiles essentielles et de bons hydrolats. Même avec de très belles plantes, si la distillation n’est pas faite de façon rigoureuse on peut obtenir des huiles essentielles et des hydrolats médiocres dans leur parfum comme dans leurs actions thérapeutiques.
Règle 1
Première règle à respecter, disposer d’un alambic parfaitement propre dans son intégralité et l’affranchir grâce à la vapeur d’eau entre deux utilisations.
Règle 2
Deuxième règle à respecter, bien tasser les plantes dans la cuve. La vapeur a tendance à trouver le chemin le plus court pour s’échapper de l’alambic. Si les plantes ne sont pas correctement tassées, la vapeur va s’engouffrer au travers des multiples passages vides de matière et la plante sera mal distillée. A contrario, une plante bien tassée va offrir de la résistance, la vapeur pourra passer uniformément à l’intérieur de l’alambic et la plante sera distillée intégralement. La machine ne remplacera à cette tâche jamais le travail de l’homme. Le meilleur tassage se fait au pied, que l’on parle d’un alambic de 100 litres ou de 5000 litres. Il consiste à marcher en rond dans la cuve en veillant à enrouler les plantes le long des parois, le centre de la cuve se tassant de lui-même.
Règle 3
Troisième règle à respecter, distiller sans pression à l’intérieur de l’alambic. Bien que les plantes soient fortement tassées, il y a très peu de pression dans un alambic quand il s’agit d’une distillation artisanale d’huiles essentielles douce et traditionnelle à 0.1 bar. Il faut impérativement que la production de vapeur de la chaudière soit adaptée à la taille de l’alambic. Une production de vapeur trop élevée pour la taille de l’alambic entraînera obligatoirement de la pression car ce dernier ne sera pas en capacité de libérer assez rapidement la vapeur qu’il reçoit. Il est également très important de conserver une vapeur constante tout au long du processus car une baisse de production de vapeur peut entrainer une distillation incomplète. Il est de ce fait très difficile de distiller à l’aide de chaudières à bois.
Règle 4
Quatrième règle à respecter, garder basse la température du distillat à la sortie de l’alambic. Il doit rester « frais » entre 10 et 30 °c maximum. Au-delà, certaines molécules volatiles s’échappent. Pour y parvenir, il faut tout au long de la distillation apporter eu bas de la cuve du refroidisseur un débit adapté d’eau froide. Sinon, le serpentin qui est plongé dedans et parcouru par la vapeur d’eau à 100 °c va rapidement chauffer l’eau du refroidisseur agissant comme une résistance. Le distillat va alors sortir à une température trop élevée et perdre une partie des molécules aromatiques qu’on cherche au contraire à collecter.
Règle 5
Dernière étape à respecter : les durées de distillation des plantes aromatiques et médicinales. Chaque plante doit être distillée durant un temps précis, pouvant varier de 1h30 à plusieurs heures. Il est très important de respecter ces durées de distillation pour pouvoir ensuite parler d’huile essentielle complète. Des molécules sont plus faciles à extraire que d’autres. Certaines sont libérées en tout début, d’autres en milieu et d’autres en toute fin de distillation. Si on arrête la distillation trop tôt, il manquera certaines molécules dans l’huile essentielle extraite. Ces molécules extraites tardivement peuvent parfois représenter moins de 5 % du volume total de l’huile essentielle tout en étant indispensables aux propriétés de l’huile essentielle. À l’inverse, il ne faut pas distiller plus longtemps que nécessaire. Au delà de la dépense énergétique inutile, continuer à distiller une plante épuisée de son huile essentielle entraînera au mieux des parfums moins délicats et au pire désagréables.
Les procédés de distillation industrielle
Dans les distilleries industrielles, les alambics ont des volumes gigantesques pour traiter de grandes quantités de plantes et gagner à la fois du temps et de l’argent. Mais la perte de qualité sur le produit fini est énorme ! Le tassage mécanique est au mieux réalisé avec des vérins et des meules en béton, qui ne peuvent pas enrouler la plante le long des parois, donc insuffisant. Parfois, le tassage est même tout simplement inexistant.
Certaines plantes sont distillées en caissons horizontaux pouvant contenir plusieurs tonnes de plantes. Le sens horizontal ne respecte pas la gravité et l’ascension de la vapeur d’eau.
D’autres procédés d’extraction sont utilisés comme l’extraction au CO2, où des alambics ou la vapeur d’eau est sous pression à plusieurs bars.
La distillation industrielle commence par la taille des alambics. Au-delà de 1500 litres de capacité, on ne maîtrise plus les subtilités de la distillation. Chez Boèmia, notre philosophie est différente, nous préférons distiller dans 10 alambics de 1000 litres que dans un seul alambics de 10 000 litres. C’est clairement selon nous dans les petits alambics qu’on obtient les meilleurs rendements et les huiles essentielles les plus subtiles et qualitatives.
Les matériaux et la forme des alambics
Pour une bonne distillation, les alambics doivent être de forme verticale pour respecter l’ascension naturelle de la vapeur d’eau. De forme plus ou moins haute et large mais ici, chaque distillateur décidera du profil qu’il souhaite donner à son alambic. Pour les matériaux, il y a principalement deux écoles : acier inoxydable ou cuivre.
L’inox, matériau de prédilection des industriels
Certains distillateurs modernes ne jurent que par les alambics en inox. L’acier inoxydable est neutre, aucun échange n’est possible entre l’alambic et la plante distillée. Il donne des huiles essentielles claires, très sobres et « carrées ». L’huile essentielle produite dans un alambic en inox est à l’image de la matière : pâle, froide, chirurgicale, peu communicative.
L’inox est certes neutre, mais ne préserve pas d’une hydrolyse des molécules si la distillation de certaines plantes est mal conduite. C’est également un mauvais conducteur de chaleur. Ses principaux avantages résident dans sa robustesse et sa facilité d’entretien, ce qui en fait le choix unanime des industriels.
Le Cuivre, matériau traditionnel de la distillation artisanale d’huiles essentielles
Le cuivre quant à lui est utilisé depuis des siècles et encore aujourd’hui par les distillateurs soucieux de la subtilité de leur production et de l’âme de leurs huiles essentielles et de leurs hydrolats. Contrairement à l’inox, le cuivre n’est pas neutre, un échange se fait à l’intérieur de l’alambic entre le cuivre et la plante distillée. L’huile essentielle produite dans un alambic en cuivre est à l’image de la matière : colorée, chaude, ronde et communicative.
La distillation au Cuivre, ses avantages… et inconvénients
Le cuivre est un oligo-élément indispensable au corps humain, il favorise entre autres l’immunité et protège contre les infections. Du fait de l’échange entre le cuivre et la plante durant la distillation, les huiles essentielles et les hydrolats s’attachent de molécules cuivrées. Le cuivre est un des meilleurs métaux pour conduire la chaleur, il chauffe vite et uniformément et diminue donc les pertes de chaleur dans l’alambic. Il refroidit également très vite et permet une manipulation aisée à la fin de la distillation. Le cuivre est antiseptique et bactéricide, il a le pouvoir de neutraliser de nombreux germes et bactéries qui sont capables de vivre sur de l’inox.
Contrairement à l’inox, le cuivre est plus tendre et moins résistant aux chocs, il est donc plus fragile. Il demande également plus d’entretien pour éviter qu’il ne s’oxyde au contact de l’air et de l’humidité. Il faut donc le nettoyer régulièrement avec du vinaigre blanc, le rincer et le sécher rapidement.
Cuivre, une meilleure conservation …
Tout produit qui passe au contact du cuivre se conserve mieux et plus longtemps. C’est un fait particulièrement intéressant dans le cas des hydrolats réputés très fragiles et peu stables. Les hydrolats distillés dans nos alambics en cuivre sont très stables et peuvent se conserver plus de 2 ans après la distillation sans voir apparaître de filaments mucilagineux et sans perdre d‘intensité dans leur parfum. Le cuivre possède également l’immense avantage de donner des huiles essentielles et des hydrolats offrant des parfums d’une intensité et d’une rondeur exceptionnelles. Les parfumeurs et les liquoristes le savent bien et travaillent exclusivement avec des alambics en cuivre.
Chez Boèmia, producteur d’huiles essentielles de qualité artisanale, les alambics sont dessinés par nos soins puis fabriqués en cuivre au Portugal par des maîtres artisans reconnus depuis des décennies pour leur savoir-faire.
La distillation est un art alchimique. Pour Boèmia, des choix engagés en amont et des échanges subtils entre la plante, les matériaux et l’homme derrière l’alambic découlent des huiles essentielles et des hydrolats d’exception.